vendredi 30 novembre 2018

Sarhitza eta aurkibidea

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Amaia n° 5: l'art basque.

Amaia 5, l'art basque


L’art basque

Cahier de l’association Amaia, n° 5
Paru au 1er trimestre 1970
Directeur de la publication : Lucien Etchezaharreta
Ce livret de 78 pages ronéotypé, sans nom d’auteur, a été en grande partie écrit par Mikel Duvert



L'Italie, la France... voilà des pays où l'art s'est largement épanoui. Mais au Pays Basque ? Existe-t-il seulement un art basque ? Notre pays est petit, son passé artistique modeste. Il n'a pas fourni beaucoup de ces artistes incontestés qui ont enrichi l'humanité. Où se trouvent les traces des temples, édifices imposants, etc... et de tout ce luxe extravagant et onéreux qu'exhibent orgueilleusement les pays voisins ?
Quelle est la renommée d'Etxahun à côté de celle de Victor Hugo, de Donostia à côté de Beethoven, de Darizcuren à côté des plus médiocres pompiers du XIXe siècle français… Puisqu'il existe des artistes... c'est donc qu'il y a un art basque, mais d'un niveau vraiment médiocre !
Du reste, tout le monde sait que c'est un art régional; donc typiquement mineur, maladroit, primaire... car il est le fait d'artistes de "seconde main", peu imaginatifs, pas très doués... Mais arrêtons là. Tout ceci a été dit et redit depuis longtemps. Cependant, de telles affirmations un peu légères (émises très souvent par des "spécialistes") devaient être combattues. Le Père Lhande, Carmelo de Echegaray, entre autres s'en chargèrent.

L'art basque serait régional, peut être bon, peut être mauvais, selon qu'on le compare à on ne sait quel "étalon", fut-il Grec, Français ou Iroquois. En d'autres termes, comprendre l'art basque, c'est analyser l'art français et espagnol, laquelle analyse sert à son tour de point de départ, de repère, pour comprendre ce phénomène régional (en France et en Espagne) qu'est l'art basque. Une telle démarche est absurde, pour deux raisons essentielles: l'art basque est l'expression d'un peuple, il est donc national et non régional. Issu d'un peuple, il est original.
Pour essayer de le comprendre, il est inutile de le comparer à... mais de l'étudier en lui-même (puis ensuite, secondairement, de le comparer).

Nous essayerons de comprendre l'art basque à travers l'art plastique. Mais, cela implique la connaissance des autres arts qui sont complémentaires et forment un tout caractéristique de l'homme basque.
Ce qui suit constitue donc une série de réflexions tendant à cerner ce phénomène. Nous essayerons de soulever de nombreuses questions et d'apporter aussi peu de réponses que possible, afin que le lecteur se fasse lui-même l'idée qu'il veut (ou qu'il peut) de cette expression. Notre ambition est très limitée, il s'agit d'exposer tout simplement des réflexions (et plus précisément une expérience en cours) assemblées selon un certain ordre qui vaut ce qu'il vaut, et destinées à aider le lecteur dans sa démarche vers l'art basque. C'est pourquoi ce qui suit s'intitule "A propos d'art basque". Il ne sera question que du Pays Basque nord, dans les exemples choisis. Il ne sera pas fait mention des artistes, ni des oeuvres, le lecteur en trouvera une très abondante liste dans l'ouvrage du peintre Flores Kaperotxipi ("Arte Vasco", Editions Ekin, Buenos Aires).
Nous voudrions citer quelques ouvrages de base qui nous ont particulièrement aidés ; ils seront très souvent mentionnés : Dialogue avec le visible ainsi que l’Art et l’âme de René Huyghe, Les voix du silence par André Malraux, Philosophie de l'art de H. Taine, Estetica vasca de Bernardo Estornes Lasa,
El hombre prehistorico en el Pais Vasco de José Miguel de Barandiaran, la revue Dantzari. La lecture de ces ouvrages est largement insuffisante et ne saurait dispenser des nombreux kilomètres à parcourir afin d'aller chercher l'art là où il se trouve.
Dans la première partie, nous essayerons de cerner l'art basque, de donner un contenu à ces deux mots. Dans la seconde partie, on trouvera quelques constatations ainsi qu'une tentative d'approche de quelques traits marquants de l'homme basque, et ceci à travers l'œuvre d'art. Il s'agit donc en quelque sorte d'une démarche inverse et complémentaire de celle utilisée dans la première partie.
Seuls les exemples figurés dans la seconde partie (Planches I à IX), sont recopiés à partir de l'art populaire (nous avons largement emprunté à Louis Colas et José Miguel de Barandiaran). Les autres ont été créés pour illustrer le texte.

Le fait basque. Tentative d'approche
Des études scientifiques ont prouvé que depuis les temps préhistoriques jusqu'à nos jours, l'homme a vécu sur la terre basque. Une race particulière issue en grande partie de l'homme de Cro-Magnon s'est développée, s'est structurée, a évolué sur un vaste territoire englobant la chaîne des Pyrénées et s'étendant de l'Aquitaine à l'Ebre. Peu à peu, ce territoire s'est réduit aux dimensions de notre Pays Basque actuel.
Quarante mille ans de vie commune sur ce sol ont puissamment contribué à modeler le visage du basque contemporain. De même que la nature du sol, ses transformations, le climat... ont caractérisé le paysage ainsi que sa flore et sa faune qui se sont adaptés à ce pays, de même ces facteurs d'environnement ont retenti profondément sur les individus, et d'autant plus que l'on sait qu'ils ont toujours vécu là.
De tout temps, l'art a traduit fidèlement l'emprise exercée par le milieu naturel sur l'homme: la palmeraie égyptienne se retrouve dans les colonnes des temples de ce pays. Les chapiteaux des cathédrales illustrent la forêt, la faune et la flore. La fougère et le chêne ne constituent-ils pas un élément important dans la décoration chez nous ?
Le paysage est donc un départ de l'émotion artistique. Et l'on pourrait multiplier les exemples. Citons seulement Pio Baroja, à propos des brumes du paysage basque: "...Ces brumes des montagnes sont pour moi un souvenir indélébile. J'ai oublié bien des choses: haines et affections, choses favorables et méprisantes sont passées en moi sans laisser de trace ; en revanche, ces brumes marqueront mon âme pour toujours, elles ne la quittent pas et ne la quitteront jamais…" D'autres exemples illustreraient ainsi l'emprise exercée sur l'homme par le paysage, par sa nature, sa couleur, sa structure, son ambiance, son énergie.
Mais, si le milieu environnant agit en tant que tel, passivement en quelque sorte, il implique un mode de vie particulier. Et, n'a-t-on pas constaté que les peuples de l'ancienne Grèce, les plus ingénieux et les plus civilisés, étaient tous marins ? La forte personnalité des Souletins n'est-elle pas due en grande partie à une vie adaptée à un milieu aride et hostile ?
N'oublions pas que depuis trente mille ans, l'homme basque a vécu ici en vase clos, ne connaissant comme paysage que le sien, comme plantes que le siennes, et comme hommes que ses frères de race. Il a repoussé, refusé tous les envahisseurs qui voulaient l'assimiler, depuis l'indo-européen jusqu'au romain, en passant par l'ibère, le celte... On a pu démontrer que des peuples s'épanouissant dans de telles condition voyaient jusqu'à leur formule sanguine se modifier.
C'est dans ce contexte que s'est formé l'univers mental du basque.
Mais, ne quittons pas encore l'influence du milieu extérieur, sans signaler une constatation banale, riche de conséquences : l'homme prend sa nourriture dans le milieu qui l'entoure. La façon de capturer cette nourriture (tout comme sa qualité) a aussi son importance (les "sociétés" préhistoriques étaient surtout basées sur un élément: la chasse. On avait intérêt à se grouper pour mieux attraper le gibier). De plus, le basque a pratiqué, dès l'énéolithique (2 000 ans avant JC), la transhumance, puis, plus tard, la pêche. Il a donc été obligé de quitter son foyer, laissant ainsi ses responsabilités à l'etxeko-anderea. N'est-ce pas là un des facteurs qui ont fait que la femme chez nous, a toujours eu un rôle prépondérant dans l'organisation familiale ?
Donc, influence du milieu naturel et du mode de vie qu'il implique sont deux facteurs importants, mais ils ne sont pas les seuls. Il faut tenir compte de l'homme qui vit, s'épanouit dans ce milieu, et qui a son histoire propre.
C'est une constatation banale de dire que l'homme basque n'est pas n'importe quel homme, puisqu'on lui ajoute le qualificatif "basque". Ceci implique une race, tout au moins une ethnie, une mentalité, une langue, et tout un ensemble de qualités traduisant une certaine force, une certaine vigueur. René Huyghe dit: "Race, le mot est délicat à employer aujourd'hui car il s'est trouvé dangereusement compromis par de funestes usages politiques. Il serait absurde par un excès inverse de nier une notion aussi évidente, si sa nature reste difficile à cerner… En fait, pour des causes que la science ne pénètre pas encore avec certitude, il existe des groupes humains se distinguant par des traits propres..."
Retenons donc que les Basques constituent un groupe humain, que l'on peut caractériser parmi d'autres groupes humains. Ce groupe manifestera nécessairement des aptitudes propres, à sa race, mais qui ne seront pas forcément, par définition, originales, car avant d'être basque, il est homme.
Prenons quelques exemples parmi toutes ces manifestations. Nous savons que les Basques aiment se lancer des défis dans des jeux extrêmement virils. Nous connaissons tous les aizkolariak, palankariak, harri altxatzaleak (leveurs de pierres), le jeu de la pelote… 
Hormis la pelote, on retrouve en Ecosse des jeux similaires. Mais, les modalités, la façon de pratiquer, de concevoir le jeu seront plus volontiers originales: seuls les Basques ont fait du jeu de paume le jeu de la pelote que nous connaissons de nos jours.
En fait, l'activité du peuple basque s'est traduite par des manifestations peu spectaculaires, mais très profondes. Cette force vive que renferme la race orientera fortement toutes les œuvres d'art et les moindres actions des individus. René Huyghe : «Chaque groupe humain entend s'affirmer par un esprit propre qui s'inscrit fatalement dans la création artistique ». Le Basque se distinguera, se définira, depuis le simple fait de se parler, de se vêtir, jusqu'à sa conception de l'homme, de l'univers, de l'inconnu.
L'homme évoluera donc dans un milieu où interféreront sans cesse de multiples facteurs agissant les uns sur les autres, engendrant de nouvelles contraintes où l'homme sera à la fois l'élément passif et actif. Ainsi, la coutume, la tradition, susciteront des gestes, des attitudes, des symboles qui, à leur tour, se répercuteront sur l'univers mental des hommes. Alors, apparaîtront des concepts, des relations sans cesse fluctuantes, d'individu à individu, notamment, impliquant un dialogue d'une nature particulière, qui ne feront que creuser le fossé et isoler davantage le groupe par rapport aux autres groupes. L'homme singularise ce que la nature avait déjà distingué. Ainsi, le Basque se définira comme Euskaldun, les autres seront désormais les Erdaldun.
Toute cette puissante originalité apparaîtra clairement dans la littérature, la musique, la danse, la magie, la sens du merveilleux, mais aussi dans la vie familiale et sociale: "Une sensibilité nationale se crée", René Huyghe.
N'oublions pas que cet homme dialoguera avec le mystère, l'inconnu, qu'il essaiera de ramener à sa dimension, de leur donner un contenu (voir la deuxième partie). Cette apparence aura chez nous des composantes multiples qui s'appelleront Amaia, Ilargi, Eguzki, Atarrabi, Mikelats, Basa Jaun, Tartaro, etc. (cf. Amaia n°2). José Miguel de Barandiaran a même trouvé des reproductions de Mari (ou Maia ou Amaia), dans des grottes du paléolithique moyen (il y a 12.000 ans). C'est dire que ces fantasmes ne sont pas nouveaux pour la plupart.


L'art exprimera les tourments de cette race, sa vie quotidienne, son évolution dans le temps et dans l'espace. «Chaque race et chaque siècle extrait et ordonne les éléments qui répondent à leur attente et qui, sans qu'ils les prévoient, les signifieront», René Huyghe.
L'art est donc un message universel, expression de l'homme. Le fait même de l'existence de l'homme basque (ce mot étant pris au sens fort, par exemple à la façon dont Marc Légasse l'entend lorsqu'il parle d'"existentialisme basque") implique nécessairement un art basque, donc un particularisme.
Ceci est tellement vrai que Hippolyte Taine a pu dire: «Le génie d'un peuple a beau se plier sous une influence étrangère, il se redresse, car elle est temporelle et il est éternel, il tient à la chair et au sang, à l'air et au sol, à la structure et au degré d'action des sens et du cerveau ; ce sont là des forces vivantes incessamment renouvelées, partout présent es que l'admiration passagère d'une civilisation suprême ne peut ni détruire ni entamer».
L'homme, l'artiste, l'oeuvre
A priori, il apparaît donc possible de définir le groupe et d'apprécier, tant sur le plan qualitatif que quantitatif, les influences exercées sur lui et même, à la limite, de les doser. Par toutes ces données, on pourra se faire une idée du "basque moyen", mais son image ne satisfera guère que le technocrate et ses statistiques, voire même le touriste. A partir de ces critères, on pourra dire que ce "Basque moyen" possède telle ou telle qualité biologique: proportions du corps, groupe sanguin (typiquement O avec RH -). Il présente des penchants pour telle ou telle activité, etc.

On aboutit ainsi à de dangereux clichés qui assimileront le Basque à un quelconque "Ramuntxo", "Jean le Basque", voire un "Gorri le Diable" résolument contrebandier, romantique, retardataire et obsédé par "les Amériques" et le goût de l'aventure. On oublie tout simplement que le Basque est un homme parmi d'autres de sa race. Le groupe a ses idoles et ses Judas: il y a les équipages des chaloupes qui attaquaient presque désarmés les croiseurs franquistes et il y a le député Ibarnegaray qui jetait les Basques dans les camps de concentration.
C'est dire que l'homme possède à des degrés très variables les qualités de sa race. Il en sera de même pour l'artiste : un parmi le tout. On a certes dit que "l'inconscient individuel se révèle inséparable de l'inconscient collectif" et, parlant de l'artiste, Ernest Renan est allé jusqu'à dire: "Quel est cet homme qui vient se placer entre l'humanité et moi." En effet, l'artiste issu du peuple parle le langage du peuple, la tradition l'a marqué comme les autres, au moins qualitativement. L'art populaire est là pour nous le montrer (voir la seconde partie).
Tant que cet artiste issu du peuple restait au service de ce dernier, il était vraiment le reflet de sa race. Le fabricant de makila, le sculpteur de coffre, le danseur, ordonnaient, créaient des symboles, des signes, des gestes répondant à l'attente et au goût des gens auxquels il s'adressait. C'est ainsi que André Malraux a dit: "L'art populaire est souvent le langage d'un artiste particulier adressé à un peuple particulier (…). Les passés des civilisations ont des significations différentes".
Mais, l'art est loin d'être resté au service du peuple. Son extraordinaire puissance a sans cesse été détourné par des classes sociales, des castes…. privilégiées: la bourgeoisie, la religion, l'Etat, etc. Pris dans toutes ces interférences, les artistes seront placés devant des choix et conscients ou non, ils subiront toute une série de contraintes.
Selon Hippolyte Taine, l'oeuvre d'art est une résultante de plusieurs facteurs:
- d'abord la race, la langue ;
- puis ce qu'il appelle la "couche primitive" inchangée le long de l'histoire et que l'on découvre à travers la persistance du caractère, de l'instinct, des aptitudes, etc. Cette base commune s'altérera et déclinera sous l'influence d'un changement soit de milieu physique (émigration), soit de sang (croisements, conquêtes à demeure). Notons au passage que le changement du milieu physique peut s'opérer par une dépersonnalisation du paysage et de l'environnement. Nous analyserons ceci plus loin.
- ensuite, l'influence de la génération en place : sa formation, ses goûts.
- enfin, l'influence du moment. Par exemple, Voltaire reprochait au Grecs et aux Romains de Racine d'être des courtisans français.
Ce qui est important, ce n'est pas cette analyse de Hippolyte Taine, mais de voir que l'on peut justement faire une analyse, que cela s'impose. Nous voyons donc qu'une œuvre d'art n'est pas quelques chose de simple mais un endroit, un moment, où convergent et interfèrent :
conscient - inconscient
individuel - collectif
présent – passé.
Ainsi, tout artiste de souche basque et toute œeuvre de cet artiste, ne sont pas nécessairement un reflet de l'âme basque. Il y a tout un fossé entre le fade académicien Zuloaga ou Darizcuren et les profonds artistes que sont Oteiza, Bergara, Arrue ou Etxebarria. Si nous allons vers l'œuvre basque, si nous cherchons à la pénétrer, il faudra être très prudent et se garder de nombreux pièges. L'artiste, l'œuvre, sont uniques. La partie n'a jamais été le tout.

Signification et portée de l'œuvre
Loin de nous l'idée d'envisager le possible déterminisme de l'art. Mais, devant les peintures préhistoriques de Santimamine et Altamira et Isturitz, devant les stèles, les coffres, les galeries d'Itxassou (l'un des chefs d'œuvre de l'art basque), on peut se demander par curiosité : pourquoi tout cela? S'agit-il d'actes gratuits? Ou bien ces œuvres renferment-elles à défaut d'un message un certain contenu?
Nous aborderons en détail ce problème dans la seconde partie. Disons tout de suite qu'il est très difficile de dire exactement où se situe l'œuvre, le simple signe pouvant déjà être œuvre d'art. Nous éviterons ce sujet qui relève essentiellement du domaine purement subjectif et ce n'est pas notre propos.
Notre civilisation contemporaine, plus que tout autre, a su tirer parti du choc de la résonance que provoque en nous l'image, le signe et le geste. Mais cette constatation n'est pas nouvelle. Dès la Préhistoire, on retrouve dans des endroits d'accès difficile des cavernes des représentations, des figures. Il semple peu probable vue leur situation qu'elles aient eu des buts purement décoratifs. Il s'agissait de véritables chapelles.
L'univers mental de l'homme basque s'est extériorisé très tôt sous forme de gestes, de mimiques, de symboles, de rythmes, dont la connaissance était l'apanage des initiés: les artistes, les sorciers, les mages, et dont l'impact, on le devine, était extraordinaire sur l'âme de leurs contemporains.
Dès le début, un artiste a sélectionné les thèmes, les symboles familiers et assimilables par tous. "L'œuvre d'art apporte l'évidence de ses images. Il suffit de les regarder et de savoir ressentir leur muet exposé", René Huyghe. Pour pouvoir ressentir, il faut être réceptif, mais aussi, il faut connaître.
Prenons quelques exemples. Lorsque nous voyons exécuter Ezpata dantza, assistons-nous à un spectacle de plus ou moins bonne qualité, ou essayons-nous de retrouver la signification des gestes, du rythme?
Lorsque nous regardons un coffre basque, voyons-nous une surface plus ou moins habilement sculptée, ou essayons-nous de pénétrer les symboles, la composition? Analysons deux coffres (Planche V n°41 et Planche VII n°58 deuxième partie) :
1. Coffre n°41 (Planche V): seul le motif sculpté sur le devant du coffre a été reproduit. Nous y voyons: une ligne ellipsoïdale entourant des motifs, c'est la limite de l'univers. Au sein de cet univers gravitent deux astres, eux-mêmes cernés par une limite de même nature que celle de l'univers. Au centre se trouve le calvaire dont l'élément central est la croix du christ. Les trois croix elles, ne seront pas limitées. Le contenu de ce coffre apparaît clairement : l'univers est limité, les astres sont limités; au sein de cet ensemble, le message transmis par le calvaire ne supporte pas de frontière.

2. Coffre n°58 (Planche VII) : la surface de coffre, la taille et la disposition des éléments décoratifs dépendent d'une longueur de base que nous avons appelée 1. Même les côtés des carrés composant la croix, élément central, sont fonction de cette longueur 1. En d'autres termes, connaissant la valeur 1 = 13 cm, on peut ainsi reconstruire tout le coffre.
L'artiste qui a réalisé cette œuvre, l'avait conçue de façon mathématique. Il a fallu qu'il taille ses planches en fonction de cette unité de base; qu'il conçoive et dispose sa décoration de façon rigoureuse. L'harmonie admirable de ce coffre est due en dernière analyse à l'application de certaines règles mathématiques (n'en serait-il pas de même pour certains édifices basques ?...)
Il est certain que cette œuvre est le fait d'un artiste de première main. La disposition générale des motifs n'est pas très différente de celle observée sur la plupart des stèles. Les quatre cercles hachurés représentent des soleils semblables à celui illustré n°1 (2ème partie). Leur position conditionne celle de la croix ; en effet, le centre de cette dernière se trouve très exactement à l'intersection des diagonales d'un rectangle formé par les quatre centres des soleils. Cette croix est à peine visible (n°59): les carrés la composant différent assez nettement des voisins. On peut donc penser que ce motif (ainsi que tout le coffre) se situe à mi-chemin entre le réalisme et l'abstraction (voir la seconde partie). Les autres secteurs hachurés représentent des fleurs.
Certaines œuvres seront en dehors de tout message qu'elles peuvent apporter, la résultante d'un métier, d'une technique particulière, d'une certaine tradition, de normes, de concepts, dont la connaissance sera capitale pour ceux qui voudront à leur tour créer.

Œuvres du passé
Dans notre Pays Basque nord, l'art populaire a essentiellement vécu d'emprunts, comme l'art de tout pays. En ce domaine, plus qu'en tout autre, qui peut prétendre ne rien devoir à son voisin ? Il a pris des éléments chez lui, mais aussi ailleurs, et les a assimilés et intégrés à sa forte personnalité. L'homme basque a souvent fait ainsi: se définir par rapport à la diversité qui l'entoure, trouver l'homogénéité dans le disparate.
Sur le plan artistique, d'autres groupes humains ont eu la même tendance. Un exemple frappant se trouve dans le mobilier où chaque région a son style propre, mais où les styles régionaux se ressemblent. Surtout à force d'emprunts réciproques.
En France, tous les meubles issus de l'art populaire (ou des usines modernes anonymes) sont sottement qualifiés de "rustiques". Cette espèce de mythe à la mode tendra à disparaître aux yeux du spécialiste qui saura distinguer par des critères bien précis.
Chez nous, mise à part l'extraordinaire floraison durant la préhistoire, on trouve peu de choses jusqu'aux périodes romanes puis gothiques, exception faite de stèles, peut-être quelques pièces de mobilier et des édifices —parfois des "fragments d'édifice"— publics ou religieux sont arrivés jusqu'à nous).
Il ne faut pas oublier que notre pays sera ravagé pendant plus de mille années de guerres, invasions, soulèvements, etc. et que la sensibilité artistique ne trouva pas un terrain très favorable pour s'exprimer tandis que les seuls vestiges qui auraient pu demeurer étaient anéantis dans les dévastations incessantes.
A partir de la fin du Moyen Age tumultueux, l'art se concentrera désormais sur trois points essentiels (il faut signaler également que c'est alors que la christianisation s'est achevée): la maison (l'etxe) , l'église, le cimetière. Alors, à travers l'anonymat des artistes, et leur diversité, apparaîtra une extraordinaire unité d'expression (voir la deuxième partie).
Donc, au Pays Basque, point de temple ou d'édifice imposant... Philippe Veyrin a pu dire que notre pays est "un lieu de passage, aucune influence n'a pu s'y maintenir de façon durable. (…) L'artiste imagine peu, mais transpose dans le goût traditionnel".
Notre peuple manque-t'il donc d'imagination, de sensibilité? N'a-t-il pas le sens du grandiose? Cette force vive que renferme la race est-elle donc impuissante, incapable de concevoir et de créer ces grandes réalisations qui frappent nos esprits? Mais, la question n'est pas là. Depuis quarante mille ans, la terre a vu des civilisations puissantes se succéder, laisser des œuvres d'art merveilleuses, puis disparaître (Etrusques, Ibères). Le Basque, lui, est toujours là, bien qu'aucune de ses œuvres ne figure parmi les sept merveilles du monde.
Comment cet art a-t-il pu venir jusqu'à nous ?
Comment, dans ce pays écartelé, dispersé au gré de mariages royaux, des droits de succession, compromis dans les querelles de ses voisins, comment un art a-t-il pu se maintenir? Car l'art basque s'est essentiellement maintenu; les circonstances historiques l'ont empêché de ses développer, de s'épanouir et de donner sa pleine mesure. Depuis le paléolithique, une forme de culture populaire identique et constante dans son essence a pesé de tout son poids sur des générations d'individus. Le peuple s'est forgé un univers mental particulier, dynamique, qui, a son tour, crée de nouvelles motivations et attitudes.

Les différentes périodes qui se succèdent imposeront autant de formalisme. L'hérédité sera le support d'une lente maturation. Durant ce long processus que nous appelons la tradition, "l'habitude deviendra l'instinct et l'acquisition deviendra hérédité". Ainsi, l'art basque a été un phénomène essentiellement dynamique. Chaque époque apporta le thème, la technique, la vision, la conception. La tradition populaire assura la continuité.
Cet art, né dans le peuple, est resté propriété du peuple, «Il a toujours vécu ignoré de l'ennemi», Bernardo Estornes Lasa. C'est l'homme basque anonyme, c'est le peuple, qui a crée cet art que nous connaissons. Faute de structures basques stables et permanentes, cet art n'a jamais pu atteindre sa pleine mesure. De plus, même à l'époque de l'unité basque, au temps du royaume de Navarre, nos rois n'ont guère favorisé ce phénomène.
Ainsi, en l'absence de toute structure valable, donc de l'émulation et des besoins qu'elles auraient dû susciter face au défaitisme de nos dirigeants (à commencer par les rois basque eux-mêmes), l'art ne s'est jamais élevé au-dessus du niveau populaire. Et, les fortes personnalités qui se sont dégagées n'ont pas toujours résisté à la tentation d'être des Espagnols ou des Français plus ou moins basquisants. Et même pire, certains ont renié ce qu'il y avait de basque en eux. Il y eut cependant quelques innovateurs, mais tragiquement isolés et sans postérité.
En résumé, l'art basque existe. Son existence s'impose à nous comme étant un phénomène aussi naturel que celui de parler, que celui de respirer. Cet art reflète non seulement les forces de la race, mais aussi les innombrables influences auxquelles elle est soumise. Il se manifeste à travers certaines techniques, par des hommes qui ne sont pas nécessairement des porte-paroles du peuple. Ces manifestations ont revêtu des caractères extrêmement divers, et à travers elles on peut se faire une idée de l'évolution de l'homme basque et de son univers mental.
Le Basque de 1970 se présente comme un composant de ce phénomène qu'est l'évolution du peuple basque depuis des millénaires. Ce n'est qu'un point sur la courbe, mais pas n'importe lequel. De lui dépend l'ascension, la stagnation ou la chute de la courbe. Nous avons une énorme responsabilité vis à vis de notre passé et de notre futur. Le passé a fait ce que nous sommes, à nous d'assurer le présent et le futur. En vertu de quoi nous permettrions nous d'arrêter ce processus naturel ?

Sauvegarde
La sauvegarde de notre patrimoine artistique se déroulera sur plusieurs fronts. Elle impliquera entre autres: la connaissance précise des œuvres existantes et notamment des plus menacées ; l'entretien des œuvres ; la préservation du contexte pour lequel elles ont été conçues. Une stèle doit être protégée contre les injures du temps. Mais, conçue pour le cimetière, sa place est là, pas ailleurs. C'est dans ce contexte qu'elle conserve tout son sens. Sinon, elle devient une simple curiosité, un objet de musée, une pièce de catalogue.
Si l'on veut qu'un monument, une maison, gardent toute leur signification, il faut, non seulement que leur intégrité soit respectée (pauvre maison des Templiers à Irissarry transformée en succursale Guyenne et Gascogne !), mais aussi le paysage qui l'entoure, sa couleur, son originalité (éviter de construire des immeubles impersonnels qui détruiraient le caractère du paysage). Sur ce point, on devrait obliger les gens, tout comme en Bretagne, à construire des édifices selon le style et les caractéristiques propres du pays, mais les architectes en seraient-ils capables ?
De même, on évitera de jouer à l'accordéon et au trombone des airs basques qui manifestement n'ont pas été créés pour cela. On évitera également la création de groupes de danse possédant une méconnaissance totale de leur métier et transformant le folklore en usine à spectacle. On ne perdra pas de vue que l'expression basque, l'art, s'adressent aux Basques et non exclusivement aux touristes. On s'attachera également à ne pas confondre culture basque et culture française et sauvegarder ainsi son originalité, point de départ de l'art.
Victor Hugo, même traduit en basque, n'est-ce pas toujours du Victor Hugo ? Une de nos préoccupations essentielles sera de donner aux gens une véritable conscience et par là un respect des œuvres d'art et d'eux-mêmes.
On évitera de nombreuses négligences, comme par exemple: stèles cassées servant à empierrer les sentiers et les murs de clôture ; stèles vendues faisant l'objet d'un trafic scandaleux (il faudrait tenir un décompte très précis des stèles et sanctionner ces trafiquants) ; magasins dans les maisons historiques (Irissarry…) ; châteaux en ruine qui s'écrouleront un jour (Beyrie) ; restaurations abusives, mal conduites (crépissages de maisons à poutres apparentes à Bayonne, etc.) ; vieux édifices abattus ; mobilier pillé par ces rapaces modernes que sont les antiquaires, etc.
C'est un devoir impérieux pour tous d'assurer la conservation et la transmission des œuvres qui font partie intégrante du passé et du futur du peuple basque et de tout homme quel qu'il soit. Mais que savons-nous de toutes ces œuvres? Avons-nous l'amour propre nécessaire pour avoir une connaissance profonde de notre art ou nous sommes nous arrêtés à de vagues coups d'œil très superficiels? Ecoute de quelques disques pris au hasard, photographies de stèles, maisons vaguement parcourues du regard, histoire d'être au courant, spectacles vus sous l'angle d'un simple divertissement, etc.
Nous devons avoir connaissance de l'art basque sinon il serait illogique de lutter pour le maintien d'une chose que nous ignorons totalement ! Enfin, n'oublions pas que sauvegarder l'art basque c'est aussi créer et par là, développer, enrichir, et assurer la continuité de l'expression basque.


Coup d’œil sur l’art contemporain au Pays basque Nord, arts plastiques
Seuls quelques exemples serviront à démontrer, si besoin en est, dans quelle indigence nous sommes tombés. Cet art qui s'était cristallisé autour de trois foyers : la maison, le cimetière, l'église. Qu'est-il devenu ?
La maison
Par une généralisation abusive, et une méconnaissance totale de notre art architectural, on a gardé comme prototype du style basque, la seule maison labourdine, la plus tape à l'oeil. L'agencement des poutres apparentes sur les façades a perdu tout son sens et sa signification. On a confondu art et exotisme. De là, cette abondance de maisons à façade quelconque, rayées n'importe comment de rouge et vert, etc. mais rayées tout de même, car "ça fait basque"... (voir 2ème partie).
Parmi tous ces architectes insignifiants, certains ont essayé tout de même de faire évoluer le style basque et nous ont laissé de bons exemples. Mais, il s'agit de ces isolés qui n'ont guère fait école. La maison que l'on construit actuellement est d'un style passe-partout, résolument "moderne", sans visage, sans âme. Au rythme où vont les choses, nous vivrons dans un contexte dépersonnalisé, une ambiance étrangère, imperméable. Que dire des magnifiques dessus de porte sculptés ?... eux aussi ont disparu.

La stèle
Peu à peu, elle est devenue une simple surface de pierre grattée, reprenant de vieux thème éculés (parfois, pour toute la stèle une croix qui, accidentellement peut être basque…). La stèle a dégénéré, elle n'a pas survécu malgré de rares tentatives très intéressantes.
L'église
Elle est devenue impersonnelle. La Basque est condamné à prier dans un édifice et dans un contexte étrangers. Parmi ces architectes incapables de concevoir autre chose que des cubes plus ou moins troués, que l'ennui, la laideur et la facilité, il en existe quelques uns heureusement capables de restaurer nos vieilles églises, à Lantabat par exemple).

Le mobilier
C'est le néant. Le meuble basque est mort depuis longtemps. Seuls surnagent quelques productions scandaleusement appelés "style basque" dont le caractère essentiel est de maculer armoires et buffets de pénibles dorures, de lourdes ciselures indigestes mais résolument "rustiques". Là aussi on a confondu art et exotisme. Partout se trouvent désormais des meubles se voulant de style basque... il n'est donc plus nécessaire d'être basque et d'avoir pénétré ce pays pour faire une œuvre basque... ! Avis aux Suédois, Papous et Iroquois, le champ est libre... et vive le style basque !

L'objet familier
On ne l'achète plus qu'au Monoprix. Seuls, quelques productions décevantes peuvent encore faire illusion.... sans parler de ces boîtes, coffrets, et autres trucs où sont gravés les profils débiles et séniles de Manex et Kattalin, pour "faire basque". Quelques individualités essayent cependant de faire quelque chose.

La peinture
Tous ces salons à nom basque sont des lieux d'épanouissement de la tristesse et de la mièvrerie. Ces personnages très en vue que l'on veut bien considérer comme les artistes basques sont absolument insignifiants, sans imagination. Ils sont la négation même de l'art basque. Quant aux autres "artistes", leur seule ambition est de vendre n'importe quoi, le plus cher possible, de piteuses basquaiseries, tableaux de corridas… Ajoutons à cela qu'il n'existe aucun critique valable et compétent. Le seul, le plus lu, le plus connu, est aussi capable de louer avec les mêmes termes les génies comme les plus insignifiants.
Remarque: il faut mettre à part le cas de l'école bayonnaise, dont les éléments principaux sont parmi les meilleurs peintres de notre temps. Mais, leur recherche se situe très nettement en marge de l'art basque comme celle de quelques artistes isolés.

Les groupes de danse folkloriques
A travers les sept provinces, les groupes abondent. Mais, est-ce un signe de vitalité ? Evitent-ils de tomber dans des pièges grossiers tels que: tendance à l'abstraction, à faire de l'art pour l'art et se couper ainsi du peuple, dont le folklore est l'émanation ; tendance à perdre la signification de la danse et de son expression ; devenir une machine à spectacle : la danse ne sera qu'un moyen qui rapportera de l'argent et non un rite, un thème populaire ; la technique médiocre (car la danse, elle aussi, implique un certain métier), soit par incapacité, négligence ou ignorance ; le groupe folklorique est-il voué à danser éternellement Ezpata dantza ? A quand la création d'un folklore vivant répondant à l'attente des basques du XXème siècle. Des tentatives semblent se dessiner.

Le bilan est désastreux. Il n'incite pas à l'optimisme. Les causes de cette décadence semblent de deux ordres : générales et particulières au peuple basque.
Générales, car l'artiste n'est plus l'artisan. Il s'est retiré dans une superbe solitude, il s'est coupé du peuple. Plus que jamais, il se veut, non plus le porte-parole du peuple, mais de lui-même, c'est une vedette. "Il n'y a plus d'art populaire car il n'y a plus de peuple". En effet, le peuple n'a jamais été la populace: l'un est homogénéité, l'autre le disparate. Et, pour cette populace là, la télé, l'ennui, l'uniformité, la banalité, la publicité, etc. Populace sans passé, sans futur, déracinée.
Particulières : la carence de l'art basque est aussi le fait de notre peuple de part la pénétration en force d'idées étrangères, de la méconnaissance du fait basque, ainsi que de l'absence de réflexion et de stimulation que cette connaissance devrait susciter. Le Basque vit de plus en plus dans un milieu qui n'est plus le sien, au milieu d'objets sans caractère, d'idées, de concepts qui lui sont parachutés, bref, dans un contexte essentiellement étranger. Il est ainsi obligé de plus en plus de s'exprimer, de concevoir, à travers un univers, un langage qui ne tiennent plus compte de lui.
A part quelques cas isolés, les artistes seront ainsi livrés à eux-mêmes, accélérant le processus de dégradation et n'offrant au spectateur que le spectacle désolant de leur dépersonnalisation. Coupés de tous substrat, ils ne seront que des basquisants.
Devant cette absence de stimulation, l'artiste ne fera que recopier ce qui avait été déjà fait : il reprendra des symboles, signes, rythmes, d'une autre époque. Il se mettra de lui-même en marge du peuple, qui, non seulement se lassera, mais le rejettera, et se tournera de plus en plus vers l'impersonnel ou vers des mandarins le plus souvent incompétents, éblouissant les gens par leur incapacité qui n'a d'égale que leur ambition. Privé de ses éléments de pointe, le peuple retombera dans une léthargie mortelle.
Une autre cause de déchéance, c'est paradoxalement la forte personnalité de l'homme basque. Elle le conduit ou on fait en sorte qu'elle le conduise... à sa perte. Il est devenu un objet curieux, un divertissement, une pièce de musée, un spectacle. Le mal implacable qui le frappe s'appelle entre autre : tourisme, avilissement, déviation et perversion de notre peuple. L'étranger, dépaysé par l'art basque, n'y verra que le côté exotique, spectaculaire, bizarre. La tentation est forte, alors, on se vend. Et lorsque l'on n'a que cela pour survivre.… Alors que la langue reste imperméable au touriste, l'expression artistique orale sera largement épargnée (entendons par là que ce n'est pas le tourisme qui le tuera directement), l'art pictural, le folklore, seront impitoyablement sacrifiés. On les vendra, on les exhibera... ça rapporte! L'artiste devient marchand.... maquignon.
Ajoutons à cela que tout art régional est résolument "rustique", un peu bébête, mineur, parfois gentil, parfois "marrant", selon les avis. Voilà ce que l'on va vendre aux étrangers! Le culte de la mièvrerie s'instaure. Cet état de fait a pénétré la mentalité et l'art est systématiquement détourné de ses buts. La peinture, les arts décoratifs, le mobilier, etc. cherchent à priori à plaire aux autres pour être vendus (on peut appeler ça de la prostitution) et ces sortes de "productions artistiques" ne sont que de piteuses basquaiseries livrées en pâture aux touristes quelques mois (deux) par an, et aux indigènes douze mois sur douze.
Parallèlement, se développe un autre scandale : nombre de fabriquants de meubles, d'architectes, etc. sont des étrangers. On voit mieux pourquoi abondent tous ces xahakoa-gourde-porte-monnaies-rappelant-le-souvenir-du-Pays-Basque et autre machins à Manex et Kattalin. Tous les excès sont permis.
Mais, malgré tout la situation n'est pas désespérée. Nous avons de quoi lutter, et c'est le problème de la création que nous effleurerons dans cette dernière partie. Nous devons tous avoir conscience de ce problème, car c'est de nous et de nous seul que dépendront la conservation, l'enrichissement ou la disparition de ce contexte, de ce fait basque vieux de quarante mille ans.

La création
Le problème de la création nous amènerait à aborder des domaines extrêmement variés où il est très difficile d'en débattre. Il n'y a pas de recette pour faire de la peinture basque ni de la sculpture ni du mobilier. La création d'une œuvre basque implique que l'on s'imprègne du fait basque, qu'on le connaisse, qu'on le médite. Il faut donc se plonger dans un contexte bien défini, en faisant abstraction de tous ce qui n'est pas basque.
Il s'agira de se retrouver et de se définir. C'est après ce "retour aux sources", mais seulement après (et ne comptons pas sur l'éducation artistique que nous avons reçue pour entreprendre cette démarche) que si l'on est prédisposé et formé, que l'on tentera de parcourir ce chemin qui débouche sur la création. "En tant que créateur, l'artiste n'appartient pas à la collectivité qui subit une culture, mais à celle qui en élabore une", André Malraux.
Tous comme Sorozabal qui est parti de la chanson populaire, toute création basque sera nécessairement précédée d'une approche de l'homme basque. Jorge Oteiza est allé jusqu'à la définition même de l'homme basque, et c'est à partir de cette étape qu'il la retrouvé et l'a si magistralement transposé dans la sculpture. Il est certain que le sculpteur de stèles, de coffres, n'avaient pas besoin systématiquement d'effectuer ce retour aux sources. Pour eux, le fait basque était quotidien, naturel, et leur collait à la peau.
L'oeuvre basque sera donc une création ou une adaptation personnelle, dont le point de départ sera l'homme basque. Il s'agira de transposer et d'être l'élément moteur, dynamique de cette expression.

GURUTZEA la croix
ILARGIA la lune
EGUZKIA le soleil
ATZO ORAI hier aujourd'hui

Introduction
Un examen, même très superficiel des stèles, meubles, fait ressortir l'extraordinaire abondance de la représentation (outre la croix) du soleil et, à un degré moindre, de la lune et des étoiles. Cela n'est guère surprenant, puisque ilargia (la lune, ou littéralement, la-lumière-des-morts) et eguzkia, sont filles d'Amaia, la déesse-mère (revoir à ce sujet la revue Amaia n° 2). Cette constatation va nous servir de prétexte ; en effet, nous allons aborder successivement :
- le soleil : les différentes formes sous lesquelles il est figuré ;
- la lune : nous ferons de même ;
- quelques symboles, soit purement décoratifs, soit à contenu magique,
- enfin, nous verrons de quelle façon cohabitent symboles païens et chrétiens sans qu'il soit toujours possible de savoir si les uns ont plus autant ou plus de valeur que les autres. Nous verrons également que ces deux grandes familles peuvent être volontairement confondues et parfois nettement séparées.
Cette lutte entre paganisme et christianisme, ce conflit intérieur, cette empoignade sauvage entre deux mondes surnaturels, le sculpteur de coffres ou de stèles les traduira à sa façon, par un certain langage, parfois fruste, élémentaire, mais puissant, sans fioriture. C'est le langage du peuple.
Dans un dernier point, nous essayerons de pénétrer davantage l'œuvre en suggérant des relations entre les œuvres récentes et d'autres, datant de la préhistoire.

1 - Variations sur les thèmes eguzkia ilargia
Les artistes basques ont donné au soleil, et plus généralement aux astres des aspects très variables. Parfois, dans le corps de l’astre figure une tête d’apparence humaine (n° 42 b Planche VI), soit animale (n° 21 Planche II). 



Ceci indique clairement les soucis de l’artiste de ramener à sa dimension la figuration de ces puissances surnaturelles auxquelles il croit et qu’il vénère. L’art chrétien ne représente-t-il pas Dieu sous forme d’un vénérable vieillard barbu et le Saint-Esprit sous la forme d’oiseau ? Le plus souvent, les formes du soleil sont beaucoup plus complexes. Cette complexité est liée à un souci de décoration.


Typiquement, l’astre représenté avec un corps et des rayons: n° 1-7-11-12-13-15-16, ces derniers pouvant se disposer en plusieurs couronnes (n° 5 et 10). Souvent cette figure divisée en deux demi-circonférences (n° 2a et 3a Planche I), d’étendues variables (n° 4 qui est issu du n°7) qui s’assemblent en éventails plus ou moins complexes (n° 2 b, 3 b et 4). Ces figures sont répandues sur le mobilier.
L’aspect typique ‘corps + rayons ‘ présente de nombreuses modalités : le corps de l’astre peut être absent, parfois, à sa place, figure un motif décoratif (n° 37 Planche V) ; 

- les rayons peuvent s’incurver (n° 6 et 8 Planches I) et prendre une remarquable disposition spirale (n° 9 Planche I) ; 
 - le rayonnement de l’astre peut être figuré de façon très libre : l’astre prend alors la forme d’une étoile (n° 13 et 16 Planche II) ou d’une fleur (n° 11, 15, 18, 19 et 44, Planches I, II, VII).
Remarque
Parfois, les rayons sont absents (n° 14 et 38 Planche V, n° 36 Planche IV, n° 30 Planche III). 




Cette figure peut être celle de la lune (entourée de son halo) et représentée plus classiquement sous forme de croissant (n° 23 à 25 n° 27, 28, 29, 31 Planche III, n° 33 et 53 Planche VIII). 




Les images " en virgule " figurées (n° 34 et 35) en sont-elles dérivées ? 

Souvent, le croissant est associé à une tête humaine (même remarquable que pour le soleil) : n° 42 a et 26. Ce dernier exemple figure une église.

Les représentations du soleil sont extrêmement abondantes et variées. Cette diversité est parfois déroutante. Comment concevoir un lien entre la figure 42 b et 20 ? Il existe d’autres variantes sur le thème du soleil. 
Nous n’avons choisi que quelques exemples qui montrent que les artistes basques n’étaient pas dénués d’imagination. De plus, il serait très intéressant de le comparer à d’autres symboles tels que les Vikings, Mésopotamiens, Irlandais, Ecossais, etc. Ces quelques exemples nous montrent surtout comment l’image même du soleil, que le Basque vénérait, a été assimilée puis transposée par lui.

2 - Quelque symboles et signes
Dès la préhistoire apparaissent sur les différents objets, des dessins dont certains semblent posséder un but purement décoratif (n° 48 à 51 Planche VIII), et d’autres un contenu obscur pour nous (n° 53).

 Certains signes rappellent étrangement ceux gravés sur des stèles (comparer les stèles n°46 et 47 aux signes 48 à 51). En outre, certaines de ces stèles ont un contenu païen très net: n° 53, sur lequel nous ne nous attarderons pas (pentalphas, sceau de Salomon, diverses rosettes, etc.).
 Tous ces signes, symboles, croyances faisaient intégrante de l'ancien basque. C'est sur ce substrat extraordinaire, vieux d'au moins 10.000 ans que va venir se greffer le christianisme, il y a à peine huit siècles ! Nous allons assister désormais à une lutte entre ces deux mondes, ces deux tendances. Le christianisme triomphera par la force des choses, mais, le substrat basque ne sera pas anéanti pour autant, il va se cacher et tout en faisant semblant de capituler, va composer et apparaitre sous d'autres formes.

3 – Christianisme, paganisme
Nous allons analyser ce conflit en étudiant quelques exemples. Le lecteur pourra comparer les numéros 43, 60 et 45, .... et essayer de trouver d'autres exemples.


a - Coexistence
Stèle n° 31 : bien qu'une face de la stèle représente la croix, le forgeron a placé ses outils (de gauche à droite, le soufflet, les tenailles, le marteau) sous la protection de la lune. Les figures 42 a et 42 b sont représentées sur le piédestal de la croix de l'église d'Hendaye.

Stèle n° 29 : autour de la croix du christ se trouvent la rouelle solaire, le soleil —ou une étoile, c'est à dire un astre— la lune, ainsi que l'image étrange ressemblant à des planètes gravitant autour d'un astre (à moins qu'il ne s'agisse de l'image de baratz (cromlechs) mais ce dernier ne peut-il pas être une image de sorte univers ?

Stèle n° 30 et 32 : quatre soleils et la croix. Remarquons la façon curieuse dont se terminent les bras de la croix, comme s'il s'agissait de quatre croissants de lune, voir le schéma.
Stèle n° 27 : on distingue entre autres, des lunes et des soleils.
 Stèle n° 28 : elle est très curieuse. Sur le registre supérieur figure le calvaire ; la croix du Christ, élément central, est le plus important. De même, sur le registre inférieur figurent deux lunes encadrant un grand motif central où on retrouve deux lunes face à face, séparées par un signe, un arbre ? Ces mêmes éléments sont repris séparément sur le pied de la stèle. Le parallélisme entre les deux registres est frappant; d'autre part, il balaye l'hypothèse selon laquelle lunes et soleils représentés sur les stèles seraient exclusivement décoratifs.
Stèle n° 33 : entre les deux bras de la croix, rouelle solaire, lune et étoile.

 Stèle n° 34 et 35 : des astres, des étoiles, et des "virgules", (des lunes ?).

 Stèle n° 36 : dans cette croix, l'élément central est le soleil. Rapprochons cette représentation de la figure 37. Il est entouré de trois croix basques (chacune étant formée par l'association de quatre "virgules"). La croix du Christ, reprise, est reléguée au second plan.
En résumé, nous assistons là à un "christianisme mal digéré" encore imbibé le paganisme, ou vice-versa. Bien que la croix soit parfois l'élément le plus important de la stèle : position centrale ou taille plus grande, il semble que le défunt a tenu à s'assurer les bonnes grâces du nouveau Dieu... et de ses anciens mythes.

b – Complémentarité
Certaines représentations marquent l'affaiblissement et la déviation des anciens mythes au profit du christianisme. Nous avons vu l'exemple (Planche V n° 41, voir la 1ère partie). De même, la stèle n° 40 pourrait se "lire" ainsi: le Christ est le centre du monde, de l'univers, comme l'indiquent les astres gravitant autour de la croix.

C - Fusion
Les anciens mythes ne capituleront pas. Le christianisme sera obligé de les englober dans leur intégrité. Le Christ est tout simplement assimilé au soleil : n° 17, Planche V. De même, il est tout naturel que l'ostensoir du n° 39 prenne la place du soleil (n° 37 et 38).



 C'est de façon tout à fait arbitraire que les exemples choisis ont été groupés selon trois types; ils représentent certainement trois niveaux dans l'évolution de l'univers de l'homme basque. Ces niveaux ne correspondent pas toujours à une chronologie bien établie, les trois pouvant, par exemple, être présents au même moment.
Remarque : il faut signaler ici un piège dans lequel sont tombés et tombent régulièrement tous les génies fabriquant des meubles, maisons et autres œuvres de styles "basque". Si l'on analyse par exemple, la stèle n° 32, on voit qu'elle se compose d'une croix et de quatre soleils. 
 On peut donc la dissocier en ces éléments constitutifs afin de mieux la pénétrer. Mais, il ne faut pas s'arrêter à cette simple constatation, sinon, notre démarche sera incomplète et signe d'impuissance —impuissance d'aller au delà du signe, de la forme— pour en saisir le contenu affectif. Isoler ces éléments revient à enlever à une œuvre tout son sens et en fait tout son "style" basque. Par exemple, mettre des soleils et des croix un peu partout sur des meubles ou peindre des rayures sur une maison ne sera que l'application d'une recette qui n'a rien à voir avec la création d'une œuvre basque.
Les quatre soleils et la croix ont été conçus pour décorer une stèle, elle même conçue pour le cimetière, et fabriquée par un homme, à une époque donnée, possédant une technique particulière. Cette stèle n'est donc qu'une péripétie dans l'expression basque, un moment ; elle n'a rien d'absolu. Connaissant ce conflit paganisme-christianisme, certaines stèles deviennent d'une lecture ambiguë. Prenons seulement deux exemples : Planche VI et VII.
 Stèle 44 : elle est bien représentée en Labourd. Cette stèle était au cimetière d'Urcuit il y a trois ans ; depuis elle a été volée. On y voit une croix très stylisée dont le centre est occupé par un soleil autour duquel gravitent huit astres. La croix et les astres sont tellement stylisés que leur sens très affaibli est appelé à disparaître (comparable à la croix n°59 Planche VII). 
C'est la faillite de deux univers qui perdront peu à peu de leur puissance, de leur contenu. C'est le triomphe de l'abstraction, de la virtuosité de l'artiste. On peut de même comparer, une croix puis les n° 43, 60 et 45.
 Stèle n° 43 : très fréquente à Itxassou. 
 On peut voir deux versions : une grande croix décorée à l'aide de cinq cercles, de part et d'autre de laquelle figurent les quatre clous ayant servi à crucifier le Christ (n° 43a) ; on peut aussi y voir quatre croix superposées ;
 - mais, également, cinq symboles disposés en croix du type représenté au n° 20, et connu sous le nom de rouelle solaire. Quant aux quatre motifs circulaires, on en retrouve de semblables sur des stèles (exemple : 43 b ou 30 et 32), ainsi que sur des gravures de grottes préhistoriques (n° 43 b et 52).


Curieux parallélisme que la croix du Christ et les rouelles solaire disposées en croix. Les deux univers (chrétien et païen) se sont superposés. Leur pouvoir est renforcé... ou affaibli. 
 Voir également le numéro 60, en page de tête. Notons au passage la constance dans l'organisation générale, la disposition des motifs (la composition, la mise en page) de la plupart de ces stèles... et de cette gravure de l'âge du fer (n° 52), faite il y a 3000 ans. Est-ce que cela ne correspond pas à quelque chose de profond ?

4- De la préhistoire à nos jours :
Nous avons vu que des signes (certains possédant un contenu magique, n° 53) se retrouvent sur des objets préhistoriques et sur des stèles (Planches VIII).
 Que penser alors de la gravure circulaire de Santorkaria (n° 52), dont l'aspect évoque tant une stèle?
Cette ressemblance est-elle exclusivement due au hasard? Peut-être, mais comparons ceci aux stèles. Ces deux types d'œuvres, de réalisations, enfermés dans des cercles (malgré leur signification et leur contenu distinct) ne sont-elles pas organisées selon les même lignes directrices? Comme si cela correspondait à quelque chose d'instinctif, à on ne sait quel besoin profond (voir les exemples 43 b).
 Allons encore loin (Planche IX). Que penser de la ressemblance entre cette stèle du XVIIe siècle et les gravures sur os découvertes à Isturitz et datant du magdalénien. Ces œuvres sont séparées par 10 000 années. On dirait que c'est le même artiste qui les a conçues : même conception, même travail de l'arabesque, signes pratiquement identiques, adaptés soit pour décorer une surface ronde et plate (stèle) soit un volume allongé (baguette). De plus, il faut remarquer ces sortes de cercles que l'on retrouve sur la stèle n° 53, sur la gravure de Santorkaria (n° 52) sur les stèles n° 30, 32, 34, etc.

La gravure de Santorkaria, les baguettes d'os d'Isturitz, les stèles, les poutres sculptées de nos églises, nous montrent que dans le domaine des arts plastiques, l'homme basque n'a pas rompu avec son passé.
A travers l'œuvre, nous saisissons parfois une sorte de fil conducteur, quelque chose d'eternel, que nous ne saurions ignorer si nous voulons, à notre tour, créer, continuer, ou simplement comprendre l'art basque.



Tables des matières

Avertissement 10
Première partie : à propos d'art basque 13
Le fait basque, tentative d'approche 14
L'homme, l'artiste, l'œuvre 19
Signification, portée de l'œuvre 24
Planche V 27
Planche VII 29
Le passé 32
Continuité 35
Sauvegarde 38
Coup d'œil sur l'art contemporain 43
La création 50

Deuxième partie : gurutzea, eguzkia, ilargia. Atzo. Orai. 53
Introduction 56
Planche I 57
Variations sur le thème eguzkia – ilargia 59
Planche II 61
Planche III 63
Quelques symboles et signes 65
Christianisme et paganisme 65
Planche IV 67
Planche VI 69
De la préhistoire à nos jours 72
Planche VIII 73
Planche IX 75